Dans son dernier disque, Beatrice Rana livre avec Yannick Nézet-Séguin une version de référence du Concerto de Clara Schumann, rarement enregistré. Ils offrent également en miroir celui, bien plus célèbre, de son mari, une manière de redonner sa place à une grande compositrice.
LE CONCERTO DE CLARA EST-IL UNE DÉCOUVERTE RÉCENTE OU UNE PASSION DE LONGUE DATE ?
J’ai toujours été fascinée par le personnage de Clara. Elle était à la fois la muse de Schumann mais aussi une pianiste de renom, voyageant partout en Europe, ce qui était assez incroyable à l’époque ! Or, je connaissais peu ses composi- tions jusqu’à récemment. Il y a quatre ans, j’ai consacré un projet à ses œuvres de musique de chambre. Puis Yannick Nézet-Séguin m’a proposé d’enregistrer son Concerto qui m’a éblouie par sa vision et son intelligence. C’est une œuvre magnifique qui mérite d’être défendue.
CLARA N’AVAIT QUE 14 ANS LORSQU’ELLE A COMMENCÉ À L’ÉCRIRE. QUELS ASPECTS DE SON ÉCRITURE VOUS ATTIRENT ?

Crédit photo : Parlophone Records LTD
Je me sens très proche de cette œuvre, dans laquelle s’affirme la personnalité de cette jeune fille. Je crois qu’elle avait un fort caractère – je me retrouve dans ce côté théâtral ! (rires) En travaillant le Concerto, je ressentais fortement l’empreinte de ses mains de pianiste, cette intuition née de sa connaissance intime de l’instrument. J’ai eu la même sensation quand j’ai étudié la composition à l’âge de 13 ou 14 ans. J’étais comme guidée par mes mains, tellement j’avais l’habitude d’être au piano.
NOUS ENTENDONS AUSSI UNE GRANDE LIBERTÉ DANS VOTRE INTERPRÉTATION…
Je me sentais très libre devant cette œuvre si rarement enregistrée et sur laquelle aucune tradition ne s’est imposée. Le lien avec la partition était donc plus intime, l’approche plus expérimentale. C’était un véritable plaisir de collaborer avec Yannick et le merveilleux Orchestre de chambre d’Europe qui m’ont beaucoup soutenue depuis notre première répétition. Nous avons mûri notre interprétation à travers les concerts, en essayant différents choix de tempo et d’expression. Il a fallu ce temps d’exploration pour saisir l’esprit de l’œuvre.
EN REVANCHE, LA DISCOGRAPHIE DU CONCERTO DE ROBERT SCHUMANN EST INTARISSABLE ! COMMENT TROUVER UNE APPROCHE UNIQUE ?
Parmi tous les concertos pour piano, c’est peut-être le plus personnel. Les versions de Lipatti et d’Argerich ont beaucoup compté pour moi. Le concerto s’ouvre à de nombreuses possibilités bien que l’écriture demeure très exigeante. Pour Schumann, comme pour Beethoven, l’effort vaut plus que l’effet. Des simples démonstrations ne suffisent pas. Ce sont des pages complexes, imprévisibles, emplies de force, de poésie et de délicatesse. C’est une œuvre qui relève du domaine de la musique de chambre et non pas de celui du concerto. J’ai longtemps rêvé de l’enregistrer – et la collaboration avec Yannick Nézet-Séguin est d’autant plus précieuse car la complicité entre nous a permis une liberté si essentielle à l’œuvre.
ASSOCIER LES CONCERTOS DE CLARA ET DE ROBERT EST COMME TISSER UN DIALOGUE INTIME ENTRE CES DEUX PARTENAIRES.
Oui, les deux œuvres sont nées de l’inspiration mutuelle qui a marqué ce couple. Il y a des parallèles fascinants entre la genèse de ces concertos, chacun conçu initialement en un seul mouvement – un Konzertstücke pour Clara, une Fantaisie pour Robert – et aboutissant dans leur forme ultime grâce à l’encouragement de l’autre. L’influence de Clara est très présente dans le concerto de Robert, notamment dans l’écriture pianistique et le rôle que le soliste assume. C’est d’ail- leurs le cas dans toute l’œuvre de Robert dont Clara était le moteur.
LA MUSIQUE DE CLARA CONNAÎT-ELLE UN REGAIN D’INTÉRÊT ?
J’espère que cet enregistrement incitera d’autres interprètes à jouer sa musique. Clara est un personnage extrêmement touchant, une artiste visionnaire hors du commun pour laquelle rien ne semblait impossible, même partir en tournée avec ses huit enfants ! Or, elle n’était pas épargnée par les doutes sur la compatibilité entre son statut de femme et sa vocation de compositeur. Aujourd’hui, sa musique suscite un intérêt véritablement sincère. Mais on se tient toujours à la notion que les œuvres des compositrices devaient être défendues par des femmes. Au contraire ! Cette musique nous concerne tous, et j’espère qu’elle sera défendue par les hommes comme par les femmes.
LA TRANSCRIPTION PAR LISZT DE WIDMUNG, LIED OFFERT PAR ROBERT À CLARA LE JOUR DE LEUR MARIAGE, CLÔTURE CET ALBUM QUI MET SUR UN PIED D’ÉGALITÉ CES DEUX GRANDES FIGURES.
C’est exactement la vision de ce programme. Ils étaient égaux dans leur vie de couple. Ils s’aimaient et s’épaulaient l’un l’autre. Les derniers vers de Widmung décrivent parfaitement leur amour mutuel : « Ton amour m’élève au-dessus de moi-même, mon bon esprit, mon meilleur moi ! » Une chose rare, tout comme ce couple extraordinaire de l’histoire de la musique.
Actus
10 et 11 mai
En concert à la Philharmonie de Paris, avec l’Orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä.
Programme : Rachmaninov, Rhapsodie sur un thème de Paganini.