Le pianiste de 28 ans au parcours atypique manie l’improvisation et le franc-parler en toute liberté. Encontre avec un éclectique.

Improvisation, écriture, musique de chambre, piano : l’ordre dans lequel se sont déroulées vos études au CNSMDP est quelque peu inhabituel…

C’est vrai, j’ai plutôt fait les choses à l’envers ! Comme mon père était professeur de piano, mon premier contact avec l’instrument s’est produit très tôt, vers quatre ou cinq ans, je n’en garde pas de souvenir précis. Le goût de l’improvisation s’est vite manifesté et mon père m’a plutôt encouragé dans cette voie. J’ai travaillé au CRR de Rueil, puis au conservatoire du 12e arrondissement. Je n’étais pas du tout structuré à l’époque, je manquais de rigueur dans le travail de mon piano et j’avais tendance à me laisser aller à mes facilités en déchiffrage. À 14 ans, je suis entré au CNSMDP en improvisation, puis sont venues les classes d’écriture et de musique de chambre, avec Jean Sulem, et ce n’est qu’en 2013 que je suis entré dans la classe de piano de Claire Désert et en même temps en master de musique de chambre.

Crédit photo : Jean Morin

Vous êtes entré dans la classe de Jean-François Zygel avec une pratique très solide de l’improvisation. En quoi son enseignement vous a-t-il le plus enrichi ?

Il m’a appris à me mettre des contraintes. Il aimait lancer des challenges du genre « tu vas me faire du 5/4 avec des progressions à la tierce ». Ça peut faire sourire, mais c’est très utile. On peut accomplir de gros progrès en improvisation si l’on comprend que tout n’est pas acquis en ce domaine et que, justement, il importe de savoir se fixer des contraintes. Mais pour ce qui est de l’apprentissage des langages, de la connaissance des styles, ce sont mes oreilles et mon bagage musical qui me les ont apportés avant de rentrer dans sa classe.

Quel a été l’apport de Claire Désert dans votre parcours ?

J’ai vraiment fait la connaissance de Claire au Conservatoire. Durant les deux premières années, je ne me suis pas vraiment rendu compte de tout le bien que son enseignement me faisait. J’avais un peu la tête dans les étoiles, j’arrivais en cours pas très préparé. Elle a vite compris à qui elle avait affaire et m’a laissé beaucoup d’espace pour mener pas mal de projets (improvisation, théâtre, travail avec des danseurs, etc.), mais elle a su me cadrer, par le choix du répertoire, par sa distance pédagogique, le respect qui s’installe entre elle et l’élève – et qui lui fait prendre conscience d’une certaine responsabilité, celle de l’élève face à lui-même.

Quel répertoire vous a-t-elle incité à travailler ?

Les exercices de Brahms par exemple ; pour m’aider à structurer une technique sans se faire mal. Brahms et Beethoven ont été très présents dans un travail axé sur la qualité de la sonorité. Je n’en étais pas forcément conscient sur le moment, mais ça a porté ses fruits ! Elle m’a aussi poussé à découvrir du répertoire contemporain (Adès, Birtwistle, par exemple) et, de façon plus générale, m’a beaucoup appris sur la manière de construire un programme.

Il y a aussi eu une année en Erasmus…

Claire m’a poussé à le faire et à partir étudier pendant un an auprès de Tuija Hakkila à l’Académie Sibelius d’Helsinski. En Finlande, j’ai eu un vrai déclic : mon quotidien a changé par rapport à ce qu’il était en France ; je disposais de beaucoup plus de temps pour travailler. En 2017, en Suède, je me suis présenté au Nordic Piano Competition, où j’ai obtenu un 2e prix : c’est par l’interprétation du répertoire et non
l’improvisation que je me suis fait remarquer ! J’ai commencé à entrer dans un rapport au piano, au répertoire, beaucoup plus sérieux que jamais.

Et la rencontre avec Julia Mustonen-Dahlkvist ?

Ça a été l’un des autres bénéfices du Nordic Piano Competition. Elle enseigne en Suède en pleine forêt et m’a incité à venir étudier là-bas. À partir de 2018, je m’y suis rendu plusieurs fois et nous avons travaillé de façon très intensive et rigoureuse, avec les concours pour
objectif. Longtemps j’ai médit d’eux, jusqu’au moment où j’ai compris combien leur préparation m’aidait à me construire très concrètement. Après Maria Canals, en 2018, et les demi-finales des Young Concert Artists la même année, tout cela guère fructueux, le Concours Clara Haskil 2019 s’est beaucoup mieux passé, grâce à un vrai travail de fond. J’ai remporté le prix Modern Times, et mesuré que je pouvais aller plus loin.

L’édition 2019 du Concours Long Thibaud Crespin arrivait peu après…

J’avais été retenu aux présélections, les épreuves commençaient deux mois après le Concours Haskil, avec un répertoire largement différent. Les délais étaient franchement serrés, mais j’ai décidé d’y aller. Il m’a fallu travailler de manière extrêmement intensive aussi.

4e prix, prix du public : quel regard portez-vous avec le recul sur l’expérience de concours et l’adhésion que vous avez suscitée de la part de l’auditoire ?

J’en ressens une grande joie ! Mais c’est aussi avec la Covid-19 une longue période d’incertitude où cette joie n’a pas la même prise. La réalité, c’est quand même beaucoup de concerts annulés ou reportés. Il faut trouver des objectifs, se mettre en selle, se nourrir d’un nouveau répertoire… l’expérience d’un concours réussi, pour moi, c’est peut-être ça. Se dire que l’on doit toujours remettre en question la
confiance conquise, aller plus loin dans la sensibilité musicale, par-delà les structures, se permettre de donner à entendre sa propre voix, maintenant qu’elle a été entendue et appréciée. C’est un riche cadeau.

Quelles sont actuellement vos priorités en matière de répertoire ?

Schubert et Schumann sont des compositeurs que je veux absolument approfondir : je m’y sens comme un poisson dans l’eau ;
leur musique me parle plus que toute autre. Bartók m’attire énormément aussi, mais cela prendra plus de temps; je ne veux pas précipiter les choses. En récital, je me concentre sur Schumann (Kreisleriana) et Liszt (Après une lecture du Dante), et les transcriptions des lieder de Schubert et Schumann par Liszt, depuis quelque mois.

Que vous apporte votre pratique de l’improvisation dans l’approche des chefs-d’œuvre du passé ?

De la spontanéité et aussi la prise de conscience qu’il faut se méfier des traditions en matière d’interprétation. Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, mais on se rend compte que la plupart des œuvres écrites comportent une dimension improvisatoire. On le comprend –et comment ! – dans le Dante de Liszt. Parler des traditions dans l’interprétation de cette pièce me semble assez stérile. Je veux mettre la spontanéité qui m’est propre, en la réfléchissant, en la structurant évidemment, au service de la musique. Il ne faut pas se refermer sur des traditions ; on a le droit d’être plus libre que ce que l’on pense, à condition que la démarche soit pensée et sentie.

Et la composition ?

Je travaille beaucoup autour de la voix depuis quelques années et j’ai en projet un grand cycle de mélodies érotiques sur des textes de ma plume. Toujours pour la voix et en vue d’un d’enregistrement auquel je réfléchis, je prépare une pièce sur un poème de Keats, Endymion, qui s’insérerait dans un programme réunissant les Kreisleriana, Après une lecture du Dante et deux lieder de Schumann transcrits par Liszt.

Propos recueillis par Alain Cochard