Chef de chant, compositrice, Kaoli Ono a enregistré Muses éternelles aux côtés de la soprano Cyrielle Ndjiki. Rencontre avec une personnalité originale de la nouvelle génération.
Comment en êtes- vous venue à l’activité musicale assez singulière qui est la vôtre aujourd’hui ?
Je suis issue d’une famille très mélomane, où la musique classique était toujours présente. L’arrivée d’un clavier électronique à la maison, alors que j’avais 7 ans environ, a été un déclencheur et, l’année suivante, mon attrait pour la musique a amené mes parents à m’inscrire au conservatoire de Clermont-Ferrand. Celui d’Orléans a suivi, deux ans plus tard ; j’y ai effectué mon cursus jusqu’à l’arrivée à Boulogne dans la classe de Marie-Paule Siruguet. C’est elle qui m’a incitée à creuser la voie de l’accompagnement, activité que j’avais déjà pas mal pratiquée avec mon frère violoniste ou avec d’autres instrumentistes à Orléans. Grâce à M.-P. Siruget, j’ai découvert le chant, le répertoire de la mélodie et du lied. Je suis entrée au CNSMDP en accompagnement, chez Cécile Hugonnard-Roche puis Caroline Esposito. J’ai aussi suivi les cours de piano de Françoise Buffet-Arsenijevic, qui m’a énormément apporté sur le plan technique.

Crédit photo : Amandine Lauriol
Et la direction de chant ?
J’ai commencé à l’étudier en troisième année avec Erika Guiomar. Faut-il y voir un effet des enregistrements lyriques que mon père écoutait tant et plus quand j’étais enfant ? Je me suis en tout cas prise de passion pour l’opéra. J’adore les langues étrangères, le théâtre : cette voie m’offrait l’occasion de réunir divers centres d’intérêt. J’ai fait un Erasmus à la Hochschule Hanns Eisler de Berlin. On ne parle pas de direction de chant mais de co-répétition là-bas ; c’est complètement différent du coaching en France. Le métier de chef de chant en Allemagne est beaucoup plus rattaché au chef d’orchestre, à la partition d’orchestre et l’on dévore énormément de répertoire. Sur le coup, la pédagogie germanique a parfois pu me sembler un peu trop carrée, mais, avec le recul, j’ai mesuré combien elle était profitable par sa dimension globale – et complémentaire de celle du CNSM.
Comment s’organise votre activité à présent ?
La crise sanitaire, qui est sur- venue assez vite après la fin de mes études, m’a confortée dans mes choix. Je cherche à rester aussi libre que possible et, parallèlement aux cours de piano et d’accompagne- ment que je donne au CRR d’Amiens, je fais du coaching à la demande de chanteurs en amont du démarrage des répétitions d’un spectacle, ou pour des auditions, des concours. J’avoue que j’aime beaucoup aussi faire travailler les chanteurs amateurs car ils sont juste dans l’essentiel, le pur plaisir musical. En tant que pédagogue, ça m’apporte toujours un bol d’air très inspirant !
Comment la fréquentation presque quotidienne des chanteurs fait-elle évoluer votre rapport au piano ? La respiration ?
La respiration, oui, mais de façon plus générale le rapport au corps. La période du confinement a été l’occasion de prendre le temps de réfléchir, de pratiquer beaucoup de tech- nique Alexander, de prendre les conseils d’une amie chanteuse et danseuse, qui m’a poussée à faire du stretching, ceux d’un ostéopathe aussi, pour le plus grand profit du corps qui est mon outil et un indispensable repère pour m’exprimer au mieux au piano.
La musique contemporaine est très présente dans votre répertoire, vous vous consacrez à la composition: comment y êtes-vous venue ?
Très tôt. J’ai habité longtemps à Orléans et le concours de piano contemporain qui s’y déroule a beaucoup compté, il a rythmé mes études. Je me souviens d’une pièce, intitulée Human Beatbox, je crois, faisant appel au piano de manière très spectaculaire : une véritable performance. J’avais 10 ans à peu près et j’ai été totalement enthousiasmée ! Le conservatoire d’Orléans accorde une place importante à la musique contemporaine ; j’y ai fait beau- coup de découvertes dans ce domaine. J’étais séduite par une liberté du geste et de l’expression, un côté direct, une animalité presque, que je ne trouvais pas dans le répertoire traditionnel. Et à chaque concours, nous avions une masterclasse du lauréat ; j’ai ainsi pu travailler avec Winston Choï, Wilhem Latchoumia et d’autres. Des souvenirs très forts.
Et l’envie de composer ?
J’ai suivi un cursus d’écriture au CNSM avec Fabien Waksman et, dans le cadre de la classe d’harmonie, nous avions un projet de composition. Je me suis lancée dans la rédaction d’une scène d’hystérie et, après une premier jet trop cadré, j’ai pleinement osé ce que le sujet appelait. J’ai commencé à composer pour la voix, puis j’ai découvert les wakas d’Ono no Komachi, poétesse japonaise du IXe siècle. Son imaginaire m’a profondément séduite : cinq mélodies en sont nées. Hormis Yomi une pièce pour piano solo, d’inspiration japonaise, elle aussi, écrite pour Maroussia Gentet en 2018, toutes mes œuvres font appel à la voix. Très récemment j’ai écrit Ce qui gronde, une partition pour un spectacle de Florent Siaud créé au théâtre Paris-Villette en janvier. L’alternance entre le métier d’interprète et le travail de composition n’est pas toujours chose facile, mais j’ai vraiment très envie de continuer à écrire !
Venons-en à votre actualité discographique. Comment avez-vous rencontré Cyrielle Ndjiki et pourquoi le choix de ce programme « Muses éternelles » ?
La rencontre s’est produite en 2019 par l’intermédiaire de Maroussiat Gentet, à un moment où j’avais vraiment envie de monter un duo avec un chanteur ou une chanteuse. Dès la première séance de lecture avec Cyrielle, le courant est passé ; nos idées musicales s’accordaient parfaitement. En septembre 2020, nous avons pu enregistrer notre premier disque. Notre objectif était de nous plonger dans un rêve musical avec des mélo- dies inspirées par des femmes, des musiques représentatives d’imaginaires sonores très différents. Nous avons pensé l’enchaînement des diverses pièces afin que ce sentiment d’évasion, de voyage, d’oubli s’exerce au maximum. Dans les mois qui viennent, Cyrielle et moi sommes très heureuses de participer à l’Académie Orsay-Royaumont, où il y a tant à apprendre de grands maîtres.
Propos recueillis par Alain Cochard