Pour vous, que représente Keith Jarrett ?
Pour moi, c’est juste un monstre du piano, et pas seulement un improvisateur! Il s’est aussi attaqué au répertoire classique et je trouve qu’il s’en sort très bien. Il s’est vraiment approprié son instrument, l’a dompté: c’est rare, surtout dans la musique improvisée. J’adorais quand, plus jeune, il était le pianiste de Charles Lloyd ou de Dewey Redman. Une période beaucoup plus sauvage qui me touche beaucoup. Et en solo, rien à en dire. On ne parle que du Köln Concert, mais il y a beaucoup d’autres concerts tout aussi beaux, voire plus, comme la série des Sun Bear Concerts au Japon. C’est un musicien complet, il réalise ce qu’il veut.
Qu’a-t-il apporté au jazz ?
Son expression libre. Un vocabulaire et une élégance bien à lui, je trouve, dans le phrasé. Une ère du trio qui était superbe. Quand il est revenu avec les disques Standards, Vol. 1 et 2, tout le monde trouvait ça frais, emballant, beau, bien pensé… Il a montré qu’il pouvait être très créatif et novateur. J’aime beaucoup. Pourtant je connais pas mal de gens qui le trouvent « too much » dans ses manières.

Crédit photo : Jimmy Catz/Giant Step
Vous sentez que c’est un artiste qui a influencé votre écriture ?
Absolument, et même aussi mon jeu au piano. Dans mon approche pour chercher et trouver une belle qualité de son par exemple. Aussi dans la façon de façonner l’espace pour laisser le piano et la musique libres de respirer. Je ne renie pas du tout ces inspirations.
Comment avez-vous réagi à l’annonce de son retrait de la scène ?
C’est triste, et en même temps, il nous a tellement donné! Cela doit être horrible pour lui, surtout s’il éprouve, aujourd’hui, une sensation de manque. Toutefois, je pense qu’il n’a rien à regretter. On est nombreux qui, in fine, n’auront pas fait la moitié de ce que lui a déjà accompli. Il nous a délivré tellement de bonheur, tellement de moments musicaux exceptionnels…
Un dernier mot ?
Merci, Keith Jarrett, pour toute la musique que tu as exprimée !
Propos recueillis par Elsa Fottorino