Adepte des aventures musicales hors des voies toutes tracées, la pianiste Vanessa Wagner aborde une nouvelle fois les rives du répertoire minimal dans un album éclectique où résonne l’invisible.
Dans votre nouveau disque, Study of The Invisible, vous poursuivez votre exploration du répertoire minimal. Pianiste de formation classique, d’où vient votre goût pour cette musique ?
J’ai toujours côtoyé la musique de mon temps parallèlement à celle du grand répertoire. Plus jeune, j’écoutais Steve Reich, Arvo Pärt, et de manière générale, tout le courant de la musique ambient et minimale. Je me souviens avoir été profondément bouleversée par la musique de Philip Glass en concert. Son Einstein on the Beach a été un véritable choc pour moi. Dans ma carrière de pianiste classique, je me suis rapidement intéressée à la création contemporaine aux côtés de Pascal Dusapin. Je devais avoir 25 ans. À l’époque, cette musique était mal considérée, et malheureusement elle l’est encore un peu aujourd’hui. Il était alors difficile pour un musicien d’assumer jouer des pièces de ce répertoire, et d’aimer ça. Il faut dépasser ces stéréotypes à la peau dure ! Longtemps laissée aux musiciens amateurs, cette musique mérite d’être défendue.
Study of The Invisible a vu le jour chez un label que vous affectionnez.
Oui, l’album a été enregistré chez InFiné. Je suis attachée à ce label ; il me permet de décloisonner les genres musicaux, d’ouvrir les curiosités – sans tout assimiler. J’aime savoir que ma carrière de musicienne ne me destine pas à jouer les sonates de Beethoven toute ma vie ! Le répertoire minimal, loin des préconceptions que nous en avons, a hérité de la musique savante. Les œuvres qui composent Study of The Invisible sont d’ailleurs traversées de musique classique : Gustave Le Gray de Caroline Shaw est un hommage à Chopin, le Prélude n° 1 en la mineur de Moondog en rend un à Bach… L’album est marqué par l’éclectisme, prôné par InFiné. Les pièces qui le constituent offrent tout un panel d’émotions, de lumières et de couleurs diverses qui pourtant font unité. Comme un voyage, la limpidité du Rain de Suzanne Ciani, aux nuances impressionnistes, nous conduit jusqu’à l’apogée centrale avec la grande pièce de Caroline Shaw qui tourne son regard vers un intérieur habité de souvenirs en teinte sépia. C’est une histoire que je raconte et qui se clôt avec Before 6 d’Ezio Bosso et l’Épilogue de Melaine Dalibert.

Crédit photo : Caroline Doutre
✔ En concert le 23 avril Festival Variations, à Nantes
✔ Disque Study of The Invisible, InFiné, 2022

Quelle est cette histoire ?
Celle d’un temps suspendu, d’une mélancolie. L’album a été enregistré en décembre 2020, à la suite du second confinement, dans le magnifique Théâtre Auditorium de Poitiers. L’atmosphère était étrange ; toutes les salles étaient fermées, nous n’avions plus de vie sociale. Actuellement, j’apprécie particulièrement le répertoire minimal pour sa recherche d’intériorité, son approche du silence, ses questionnements de la solitude, et sa distance prise avec une virtuosité manifeste.
Quel accueil le public réserve-t-il à un tel programme composé d’œuvres rares ?
En 2016, fruit de ma rencontre avec le producteur de musique actuelle Murcof, j’ai enregistré Statea. Déjà alors, l’album fut accueilli très chaleureusement, y compris dans le milieu classique. Plus tard, au printemps 2020, j’ai enregistré This is America, avec le label La Dolce Volta. On y trouve des œuvres de Philip Glass, John Adams ou encore Leonard Bernstein. Ce fut un pari pour ce label classique qui n’était pas assuré de l’enthousiasme du public. Résultat : nous avons reçu un Diapason d’Or, un CHOC de Classica… Beaucoup de médias en ont parlé. Ces pièces étaient certes plus connues que celles qui composent Study of The Invisible. Néanmoins, cet accueil nous prouvait déjà l’intérêt grandissant que le public porte à cette musique. En concert, il m’arrive de jouer des pièces de ce répertoire en bis, après un programme classique. Cette musique transporte la salle, à chaque fois.
Vous évoquez les lumières et couleurs du programme de votre album, et pourtant « l’essentiel est invisible pour les yeux »…
Tout à fait. L’invisible était un thème qui m’est apparu évident pour le titre du disque. Cette musique est traversée d’intériorité, de silence, de tout ce que l’on ne peut pas dire – tout ce que l’on ne se dit pas à soi – même, et tout ce que l’on ne dit pas aux autres. La musique minimale résonne tout particulièrement avec le temps de pandémie mondiale que nous vivons. Elle se présente comme un refuge. Profonde, intense et si simple. L’invisible est un lien imperceptible qui unit les notes les unes aux autres ; comme elles, il nous relie tous, nous auditeurs, à travers le monde. Dans sa tendresse incroyable, cette musique donne, avec d’humbles moyens, l’essentiel.
Propos recueillis par Sophie Perrin-Ravier