On l’attrape tout juste sorti de scène, « 4e Concerto » de Beethoven sans chef, aux côtés de l’orchestre national de Bretagne. Avec verve, il nous raconte ses claviers…

Mon piano d’enfance

J’ai d’abord eu un Gaveau à la maison. Enfant, il me paraissait énorme ! Ce n’était qu’un crapaud. Il était d’occasion, avec un meuble sans doute en acajou et des touches en ivoire. Je me souviens mieux du piano droit que nous avons eu ensuite : un August Förster, marque réputée d’Allemagne de l’Est. Belle sonorité, un clavier pas facile, enfin les pianos droits… Et il y avait aussi les instruments de mes professeurs. À Besançon, chez Jacques Bloch, je me souviens d’un Pleyel droit des années 1920 très agréable, au toucher léger et à la sonorité pleine. À côté, un grand Erard de concert à doubles pieds, épouvantablement lourd, sur lequel il fallait faire des efforts désespérés pour obtenir une note ! Puis, un jour, il a acheté un Steinway modèle O de 1970 au timbre sublime, cristallin et chantant. Sa mécanique était si parfaite et légère qu’avec mon peu d’expérience j’ai d’abord eu l’impression de faire du patinage artistique. Le Steinway de Barbizet à Marseille était, lui, plus lourd et extrêmement puissant. À la moindre pression, il démarrait… comme un moteur de Ferrari !

Crédit photo : Jean-Baptiste Millot

Crédit photo : Jean-Baptiste Millot

Mon piano de travail

Après la mort de Jacques Bloch, j’ai racheté son superbe Steinway O, que j’ai longtemps eu en modèle unique. Il a déjà fallu refaire deux fois les feutres et on envisage actuellement de remplacer les cordes, bien oxydées depuis cinquante ans. Puis, sous la pression de mon accordeur de l’époque – un fou furieux de piano qui avait par exemple raccourci les marteaux des aigus de mon O afin d’en décupler la puissance –, j’ai acheté un Steinway B. Bazardé par un homme d’affaires en faillite, son prix défi ait toute concurrence. Je l’ai eu brut de décoffrage. Pendant un an, je me suis échiné à le jouer : il ne s’ouvrait pas… Régie Piano l’a finalement réglé en un instrument splendide. Je réserve le O pour Mozart, Schubert, quelques Chopin et Debussy. Le B, c’est le piano de travail principal, celui de la musique de chambre.

Mon piano idéal

Steinway, bien réglé, reste le modèle de l’équilibre. Je pense au fabuleux modèle D de 1901 de Cédric Pescia sur lequel j’ai joué Mendelssohn en récital il y a trois ans. Dans tout le médium, on croirait entendre la plus belle des mezzo-sopranos, l’aigu est magnifique, les basses orchestrales. Mais j’adore aussi Bechstein. J’ai enregistré l’intégrale de Debussy sur un Bechstein de 1898 : un des plus beaux pianos de ma vie. Tout était parfait et il n’avait pourtant jamais été restauré ! Quant à Bösendorfer, j’aime les écouter mais pas les jouer. C’est pour moi une langue étrangère, les sons s’éteignent et il faut déployer des trésors d’imagination pour donner l’illusion qu’ils durent. Schiff, que j’admire, en a merveilleusement fait le prolongement de sa pensée. Un peu comme Kempff dont le cantabile reste indissociablement lié à Bechstein. Faire totalement corps avec l’instrument, c’est in fine ce qu’on demande à l’interprète.

Crédit photo : Jean-Baptiste Millot