Sur la pochette de son dernier disque, il pose au milieu d’un joyeux bric-à-brac, reflet de l’originalité et du foisonnement de son inspiration. Le pianiste et compositeur israélien met en abyme le fantasque Carnaval du maître romantique ébouriffant.
Après deux albums d’une rare originalité, vous mettez la barre encore plus haut avec le dernier, Carnaval, un récital inédit autour de l’œuvre célèbre de Schumann…
Curieusement, je n’avais jamais joué le Carnaval de Schumann avant d’entamer ce projet. L’œuvre était à mes yeux victime de son succès. Tous les pianistes l’ont jouée ! Mais la personnalité de Schumann en tant que compositeur et pianiste m’a fasciné par sa complexité et par la façon dont elle se prêtait à l’imagination et à la réinvention. Carnaval m’a toujours fait penser à la couverture de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles avec ses éléments composites. Je voulais enrichir l’univers de Schumann de la même manière en trouvant des pièces du canon classique en résonance avec son passé et son futur. Plonger dans la mine intarissable qu’est le répertoire du piano était un véritable plaisir ! Et il nous reste beaucoup à découvrir de cette pièce surprenante et truffée d’énigmes.

Crédit photo : Peter Hönnemann
Vous avez qualifié cette œuvre de «pionnière de la post-modernité » dans votre texte du livret…
Elle est sans précédent dans sa façon de voyager dans le temps. Schumann va réunir des personnages de la commedia dell’arte, théâtre italien populaire du xvie siècle, mais aussi des compositeurs et des connaissances de son vivant, ainsi que les deux incarnations de sa psyché, Eusebius et Florestan. Personne ne l’avait jamais fait auparavant ! Et personne n’osera une entreprise aussi singulière pendant
des années.
Nous entendons votre voix de compositeur à travers trois contributions musicales…
Ce sont des brefs interludes s’inspirant d’un thème pré-existant lié à Schumann. Le premier, joué suite au Préambule, provient d’une valse de Schubert autour de laquelle Schumann avait composé un cycle de variations. Le deuxième revisite le motif musical ASCH à travers un langage très moderne, et le dernier donne un élément de surprise juste avant la fin. Mais je ne considère pas ces interludes comme représentatifs de mon style. Ce que j’ai réellement créé, c’est cet album entier.
Quel impact ce genre de récital aura-t-il sur le public ?
Je ne sais pas sous quelle forme existera le concert dans un monde post-crise, mais j’espère de tout cœur qu’il perdurera. Jouer sur scène est avant tout une manière de communiquer avec le public. Le concert représente un voyage que l’artiste et l’auditeur entreprennent ensemble d’un bout à l’autre, chacun jouant un rôle actif dans cette découverte. Pour cela, il faut un programme qui ose l’innovation et un nouveau regard. Dans un métier où la matière musicale semble être figée dans le temps, il y a toutefois la possibilité de créer et de récréer. C’est un défi que je relève avec beaucoup d’enthousiasme et qui est propre à ma double profession de pianiste et de compositeur.
Qu’est-ce qui est venu en premier, la composition ou le piano ?
La musique avant tout ! Petit, je m’amusais à jouer divers petits instruments et à improviser sur le piano droit que mes parents m’avaient procuré alors que je n’avais pas encore commencé les cours. Mes apprentissages de la composition et du piano ont démarré en même temps, à l’âge de 6 ans. Jusqu’à mes 18 ans, je me consacrais pleinement à la composition que je considérais être ma première vocation. Mais sur le conseil de mon professeur de composition à l’université, le piano a trouvé une place primordiale dans ma vie.
Le profil du compositeur-pianiste, tant répandu lors des siècles derniers, est-il toujours d’actualité aujourd’hui ?
La société actuelle tient beaucoup aux catégories et aux étiquettes. Il va sans dire que ce double chemin est particulièrement inhabituel ; beaucoup de gens ne sont pas conscients de mon profil à double casquette. Mais je l’accepte avec humilité. J’ai eu la chance de travailler avec de nombreux artistes renommés – Murray Perahia et Maria João Pires pour le piano, Ruben Seroussi et George Benjamin pour la composition – et je me sens bien équipé pour aller au bout de mes projets. Par ailleurs, l’art et la littérature ont eu également une forte influence sur mon travail.
Pensez-vous que le spectacle doit s’ouvrir aux éléments extra-musicaux dans notre ère de nouvelles technologies ?
Ma collaboration en 2011 avec le metteur en scène Peter Brook était une révélation sur ce sujet. Nous avons interprété La Flûte enchantée de Mozart sur une scène dépouillée, avec seulement piano et chanteurs. Cela m’a fait beaucoup réfléchir à ce qui est important et à ce qui brouille le discours. J’ai toujours eu envie de concevoir des récitals sans entracte et sans notes de programme. Le spectateur est d’emblée plongé dans l’inconnu et dans une continuité musicale, ce que je trouve très séduisant dans le contexte d’un concert. Si tout élément superflu est supprimé, ce qui reste à faire est de la musique.
Propos recueillis par Melissa Khong
✔ Carnaval, Matan Porat. Mirare, 2020