À la fois jazzman et pianiste classique, le Franco-Ukrainien Dimitri Naïditch publie deux nouveaux albums. Dans SoLiszt, comme dans ses opus Bach et Mozart, il célèbre le compositeur en le réarrangeant sans le travestir. Ukraine. Les Chansons sans voix est le disque de l’enracinement. Il y exprime l’urgence de renouer avec sa terre et son identité face à la menace.

Dans le contexte actuel, l’album Ukraine. Les Chansons sans voix est une pulsion, un besoin ?

J’ai déjà fait deux disques sur la thématique du folklore ukrainien mais ils ne sont jamais sortis en France. Publier de nouveau un album solo a toujours été une envie très forte. Tout cela s’est précipité avec la guerre. Après l’état de paralysie, le choc, le sentiment d’agression qui m’a touché dans ma chair, il a fallu se remettre à l’action, réfléchir à un moyen d’agir, et ce disque s’est imposé. C’est une façon d’être présent, de parler de l’Ukraine. Ce disque est l’acte d’un musicien, d’un citoyen, d’un Ukrainien qui a envie de faire connaître son pays et d’attirer l’attention sur une situation qui est intenable.

C’est également une déclaration d’amour à la musique traditionnelle ukrainienne ?

Ce folklore ukrainien, ce sont mes racines, j’adore cette musique. J’ai eu la chance de rencontrer des ethnomusicologues qui vont dans les villages recueillir les chants archaïques pour les répertorier et les enregistrer. Il y aurait 800 000 chansons identifiées, et chaque village en compterait 300. Ces chants se transmettent d’une génération à une autre de façon orale. Les mélodies peuvent dater de plusieurs centaines d’années, avec parfois des modifications de paroles au fil des générations. Chaque interprète y apporte sa patte. C’est très étonnant d’avoir ces reflets d’époques si lointaines. Au-delà de la musique, l’ambition est de partager un peu de ce pays, d’évoquer cette culture.

Crédit photo : Marc Ribes

Est-ce aussi une façon de donner votre vision de la responsabilité ? De la contribution possible d’un artiste ?

Avec peu il est possible de changer le monde, brique par brique. Chaque rencontre, chaque concert est une goutte d’eau, oui, mais il y a à chaque fois des gens émus. Dans ce contexte, les gens sont sensibles, solidaires. On attribuera également la moitié des bénéfices au profit de l’école musicale Lysenko de Kiev, l’un des fleurons de l’enseignement musical.

Parlez-nous de votre démarche intitulée « New Time Classics » qui relie vos disques Bach, Mozart et Liszt.

Ma démarche est une tentative de retrouver une liberté perdue par l’interprète dans l’approche purement classique. L’improvisation ne fait plus partie du quotidien musical du pianiste classique. Tout est très codifié, il est difficile d’apporter une nouvelle approche dans l’interprétation. L’idée n’est pas de jazzifier des œuvres classiques, c’est un travail de création d’une œuvre tout en respectant l’esprit du compositeur, en le mettant en valeur.

Pourquoi Liszt ?

Ce qui m’attire chez Liszt, c’est l’ombre et la lumière présentes partout dans son œuvre. On y trouve un côté qui nous élève, angélique, et un autre sombre, diabolique. Il a exploré cette dualité. Ce que j’adore, également, c’est sa puissance, sa démesure, l’impression que sa musique est écrite pour être jouée pour des milliers. Chaque note est projetée à une distance intergalactique.