Scriabine, l’électron libre de la musique
Pianiste virtuose et compositeur avant-gardiste, Alexandre Scriabine fait figure d’électron libre dans l’histoire de la musique russe. Formé au conservatoire de Moscou, Scriabine s’éloigne rapidement des références au patrimoine russe. Tournant le dos à l’école nationale, l’artiste cherche à travers ses œuvres à se libérer du carcan de l’harmonie traditionnelle en superposant des accords de manière complètement nouvelle. Fervent mystique et adepte d’une forme d’universalisme, Scriabine joue avec les modes, les rythmes et l’atonalité pour créer un nouvel espace musical. Raillé et méprisé par ses contemporains à cause de sa radicalité et de son excentricité, il incarne une frange particulièrement visionnaire de l’avant-garde et symbolise une autre façon d’être russe.
Anton Rubinstein, grandeur et décadence
Dans les années 1850, le petit monde de la musique russe est profondément clivé. D’un côté les slavophiles, comme Glinka et ses disciples, qui considèrent que la Russie doit s’affranchir des règles européennes et trouver son propre chemin.

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De l’autre, les occidentalistes, comme Rubinstein, qui se réfèrent à la tradition musicale et pédagogique européenne, et ne font pas grand cas du folklore russe. Considéré par les slavophiles comme une menace pour l’intégrité de l’école russe, Rubinstein est d’autant plus suspect à leurs yeux qu’il est d’origine juive. Progressivement isolé au sein de sa propre école, Rubinstein et son œuvre tombent graduellement dans l’oubli.
Il écrira: « Les Russes me qualifient d’Allemand, les Allemands de Russe, les juifs de chrétien et les chrétiens de juif. Les pianistes me considèrent comme un compositeur, les compositeurs comme un pianiste, les classiques comme un moderne, les modernes comme un réactionnaire. Ma conclusion est que je ne suis qu’un pitoyable individu. » Destin d’autant plus tragique que l’élève le plus célèbre de Rubinstein, un certain Tchaïkovski, deviendra l’archétype même du compositeur russe !

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