Une anthologie bienvenue d’œuvres tchèques pour piano, concoctée par Ivo Kahánek, nous donne à entendre la voix singulière d’un pays profondément musicien.

Partons en expédition avec le pianiste tchèque Ivo Kahánek, qui nous emmène sur les sentiers musicaux de son pays, où l’héritage laissé par ses nombreux compositeurs séduit par sa richesse et sa beauté lyrique. En collaboration avec Bärenreiter, le pianiste nous offre une belle anthologie préparée par ses soins et réunissant une vingtaine de pièces signées Dussek, Dvorák, Smetana ou Janácek, pour ne citer que les compositeurs les plus connus. Une sélection en or, où nous trouvons quelques morceaux favoris et de véritables joyaux s’adressant à tout profil de pianiste.

Si l’esprit bohémien surgit en particulier pendant la deuxième moitié du xixe siècle, la monarchie d’antan, sous l’égide de l’immense empire Habsbourg, voit s’élever une génération de compositeurs illustres au temps de Haydn et de Mozart. Professeurs et jeunes apprentis reconnaîtront sans doute la Sonatine de Jirí Antonín Benda (ou Georg Benda), morceau incontournable du répertoire pédagogique ouvrant le recueil. Reposant sur une architecture classique, l’œuvre défend les valeurs du xviiie siècle à travers son équilibre, ses phrases élégantes et sa noblesse sentimentale.

L’écriture est tout aussi idiomatique et inventive que celle de Haydn, mettant en relief une panoplie de gestes pianistiques – arpèges, gammes fuselées, croisement de mains – très à la mode au temps de la grande popularité du pianoforte. D’un niveau accessible, cet Allegro tiré de la Troisième Sonatine de Benda met également en lumière les traits musicaux typiques de l’Allemagne du Nord, ce que nous retrouverons plus tard, de façon transformée, chez ses compatriotes romantiques.

An Expedition into Czech Piano Music,
pièces choisies et révisées
par Ivo Kahánek,
Bärenreiter

Jeux de contrastes et accents rythmiques créent un fort sens dramatique que Dussek emploie aussi dans sa Chansonnette, titre sentimental qui cache une pensée remarquablement d’avant-garde derrière son ouverture anodine. Cette culture musicale unique, dont l’évolution est dévoilée par l’ordre chronologique de l’anthologie, trouve son apothéose dans le langage épanoui du xixe siècle. La recherche des couleurs inédites et des harmonies expressives est au cœur de cette esthétique commune, chaque compositeur soulignant à sa manière la beauté des dissonances et la richesse des modulations. Dvorák déploie d’un coup de maître sa marque faite de charme et de subtilité dans sa très célèbre Humoresque, tandis que son gendre Josef Suk, héritier de cette nostalgie rustique, revêt ses deux Idylles d’un chromatisme surprenant. L’anthologie est peuplée d’images envoûtantes, certaines des pièces puisant dans les récits suggéré par leurs titres, telle La Danse des lutins de Dvorák, d’autres créant un univers plus abstrait et énigmatique, comme les trois extraits du cycle Sur un sentier recouvert de Janácek. Issu des décennies foisonnantes entre le romantisme et le modernisme, le compositeur révèle son étonnant art de l’ambiguïté et de l’évocation, tissant un récit empli de nuances infinies et d’intensité profonde à travers ces trois miniatures d’envergure modeste. Cette atmosphère onirique, inspirée des contes de fées et aux résonances folkloriques, se retrouve plus récemment sous l’aile de compositeurs contemporains comme Petr Eben ou Luboš Sluka. Le génie de leurs prédécesseurs est préservé dans ces visions envoûtantes et universelles, rendant un bel hommage au paysage musical singulier de leur patrie.