Il consacre son nouveau disque aux Mazurkas de Frédéric Chopin, le compositeur qui a déterminé sa vocation de pianiste.
Pourquoi construire votre disque autour des mazurkas ?
Il y a des mazurkas, puis il y a les mazurkas de Chopin. Elles occupent une place tout à fait singulière dans son œuvre. Il a transcendé le genre, y apportant une complexité qui s’étend au-delà de sa première signification. Ses mazurkas se lisent comme un journal intime, lui permettant d’entrer en communion avec ses compatriotes lointains lors de la guerre polono-russe. Malgré leur brièveté et délicatesse, elles incarnent un puissant patriotisme – « des canons sous des fleurs », estimait Schumann – et servaient aussi de laboratoire à travers lequel Chopin s’essayait aux audaces harmoniques. Pour ce disque, je voulais me retrouver seul avec le compositeur, mais je souhaitais surtout concevoir un album qui suscite une véritable réflexion. Le prisme du folklore polonais est donc au cœur de cette construction.

Que représente pour vous la musique de Chopin ?
Chopin fut le moment déterminant de ma vie. Quand j’ai entendu sa Quatrième Ballade pour la première fois, à l’âge de seize ans, j’étais bouleversé par ce que je ressentais, complètement sous l’emprise de cet envoûtement magique. Jusqu’à ce moment-là, je ne pensais pas que la musique détenait un pou- voir émotionnel aussi immense. Sa musique abrite une force qui fait jaillir l’élan, la passion, la colère. Si nous ne cherchons que la douceur, nous tombons vite dans la mièvrerie, ce que Chopin détestait. Or, si nous essayons d’exprimer au piano tout ce que nous ressentons en jouant ces œuvres, nous risquons d’affaiblir le propos car sa musique est déjà extrêmement riche en sentiments. Nous devons nous laisser embarquer avec abandon, ce qui est possible chez Chopin dont l’écriture, si bien pensée pour la main et le clavier, permet un jeu sans résistance. Cette sensation physique me séduit beaucoup.
Trouvez-vous votre bonheur dans la musique comme dans le sport, deux domaines que vous connaissez intimement ?
Nous sommes notre propre instrument. Le piano ou la raquette de tennis n’est qu’un vecteur que l’on met en vibration avec notre corps. Or, en musique, tout ne peut être résolu par la force. Elle demande un équilibre entre souplesse et résistance, un travail qui me fascine tout comme l’approche héritée de la philosophie japonaise, non pas faire, mais être son geste. Comme disait Ciccolini : « Laisse la musique te jouer. » Contrairement au sport, la musique est beaucoup plus généreuse – plus on est nombreux, plus elle partage. La musique mène à une appréciation du temps et de sa lenteur aussi. Avec elle, nous pouvons nous abandonner et vivre l’expérience jusqu’au bout.
Propos recueillis par Melissa Khong