Rencontre avec l’artiste à son domicile autour des « variations en fa mineur » de Haydn. On les lui joue sous les toits. Vif, inspiré et bienveillant, il partage ses conseils d’un deuxième piano. Accrochons-nous pour suivre cet éternel émerveillé !

Marches survolées… Là-haut, une rue pavée déserte s’enroule paisiblement. Seuls quelques lampadaires à l’air affable défilent gracieusement sur le trottoir. De bucoliques maisons se pressent pour regarder. Je sonne. Florent Boffard m’invite à entrer. Je défonce (presque) le portail. Il m’offre tout de même un café. Au programme: Variations en fa mineur de Haydn. Nous montons sous les combles. Espace vaste, murs et moquette clairs, toit et poutres en bois. Un tapis en patchwork sépare deux Steinway, presque tête-bêche. Je dispose d’un instant, seul, pour chauffer: quelques traits pour réactiver mes doigts, j’essaie le début, vérifie la pédale. Mon auditeur s’assoit, je me lance…

Crédit photo : Philippe Gontier

L’incroyable langage musical d’Haydn

Sans reprise, la pièce dure neuf minutes. Je finis. Florent Boffard se lève et rejoint le deuxième piano. « Tu as un sens de la pulsation très posé et sensible qui fonctionne ici à merveille, entame-t-il, mais je ne trouve pas le caractère de la pièce suffisamment défini. » Il me rejoue le début pour illustrer la tristesse et la mélancolie que peut exprimer le fa mineur, puis ajoute : « Digitalement, aucun problème, mais tu laisses un peu les événements se faire plutôt que de les présenter, les éclairer. »

Plein d’enthousiasme, il me replonge en 1793, date de composition des Variations, pour que je prenne conscience de l’inventivité incroyable du langage musical : « Haydn a une imagination faramineuse qui ne subit aucune contrainte d’académisme. Soudain, les motifs changent de registre : on croise les mains. Certaines ornementations sont vraiment originales. » Il ponctue d’exemples au piano. « Et que dire de l’improvisation cadentielle de la dernière variation ? Ces mouvements chromatiques, on entendrait presque Wagner ! »

Quelque chose de miraculeux

On reprend du début. Il me faut quelques essais pour trouver le caractère résigné de la main gauche accompagnatrice. Dialogue entre registres : « Imagine que tu les écartes d’une octave supplémentaire », me lance-t-il en le jouant. Il me montre comment modeler la pulsation pour laisser pirouetter les ornements, comment introduire le caractère du fa majeur par les timbres et le temps. Variations en syncopes « tellement intenses et vibrantes qu’elles arrivent toujours un peu en retard ». Pas évident !

Pour m’aider à conduire, mon professeur du jour se met à chanter. Redoutable pour suivre les voix intermédiaires. Quelques astuces rendent à mes ornements leur explosivité. Retour du thème initial. « Il se passe quelque chose de miraculeux », souffle-t-il, émerveillé. Il me parle du pianoforte, de tempéraments, d’équilibre. On parcourt les dernières pages…

La vertigineuse importance du contexte de création

Tout au long de notre travail, il aura souligné l’importance, pour comprendre la force évocatrice d’un texte, d’en cerner le contexte de création. La création, lui connaît bien. Sa dernière ? Du Marco Stroppa. « Se retrouver au contact du compositeur pour une œuvre que lui-même n’a jamais entendue, c’est vertigineux », lâche-t-il. Ex-pianiste à l’Intercontemporain, il nourrit éclectiquement son répertoire : « C’est de la gourmandise, j’ai du mal à me limiter au vu de l’immense richesse de la musique pour piano. » Déjà temps de partir. Il me montre son dernier émerveillement : la copie manuscrite d’un chant grégorien réalisée en 1330 par un moine à Besançon. « Que la préoccupation d’un homme, il y a sept siècles, ait pu être de transmettre un texte musical, c’est absolument bouleversant », glisse-t-il.

Les lampadaires m’accueillent de leurs sourires luminescents. Musique jusqu’aux oreilles, je m’efface dans la nuit.