Gergiev évincé de la Scala, Kissin et Melnikov révoltés contre la guerre en Ukraine, pétition au Bolchoï… Le conflit qui sévit en Europe orientale force les artistes à se positionner… ou pas. Le point sur la situation.
De nombreux interprètes russes ont élevé la voix pour protester contre la guerre en Ukraine.
« La guerre agressive, dans laquelle, contrairement aux traités et aux accords, l’armée d’une nation envahit le territoire d’une autre, qui elle-même n’a pas attaqué ou menacé, est un crime pour lequel il n’y a, et ne peut y avoir, aucune excuse » martèle Evgeny Kissin, l’immense pianiste russe installé à Prague, dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux.
Insurrection contre une guerre criminelle
Auparavant, c’était le pianiste Alexander Melnikov qui s’insurgeait ouvertement contre Vladimir Poutine et contre cette « guerre criminelle ». Ne vivant plus en Russie depuis longtemps, il n’a « jamais voté pour Poutine ou son parti », néanmoins, le pianiste « leur en veu[t] de [se] faire sentir coupable d’être russe ». « Bien sûr, il est normal de dire que moi ou des millions d’autres Russes n’avons rien à voir avec cette guerre. […] Mais ce n’est pas comme ça que les choses fonctionnent. Je me sens responsable de cette guerre. Ni moi ni mes compatriotes n’avons fait assez pour l’arrêter. Voilà ce qui se passe maintenant que nous sommes tous assis ici, dans cette salle de concert : des gens meurent dans une guerre criminelle, sans raison. » « Quand je regarde l’humanité, je suis infiniment triste », a-t-il poursuivi. « Ne devrions-nous pas craindre pour notre survie même ? Si nous ne survivons pas, nous perdrons aussi Bach, Vinci, Einstein, Newton ou Pouchkine. Je ne comprends pas pourquoi nous permettons à des gens comme Poutine ou Trump de faire cela à notre civilisation. »
Positions plus mesurées
Le lauréat du concours Tchaïkovski en 2011, Daniil Trifonov, établi à New York, a de son côté partagé sur instagram un message plus mesuré, dans lequel il se désole de la tragédie en cours.
Pour la soprano star, Anna Netrebko musique et politique ne font pas bon ménage. « J’ai pris le temps de réfléchir car je pense que la situation est trop grave pour être commentée sans vraiment y réfléchir. Tout d’abord : je suis contre cette guerre. Je suis Russe et j’aime mon pays mais j’ai beaucoup d’amis en Ukraine et la douleur et la souffrance en ce moment me brisent le cœur. Je veux que cette guerre se termine et que les gens puissent vivre en paix. C’est ce que j’espère et je prie. Je tiens à ajouter, cependant, qu’il n’est pas juste d’obliger les artistes ou toute personnalité publique à exprimer leurs opinions politiques en public et à dénoncer leur patrie. Cela devrait être un choix libre. Je ne suis pas une personne politique. Je ne suis pas une experte en politique. Je suis une artiste et mon but est d’unir au-delà des clivages politiques.»
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Gergiev évincé de la Scala de Milan
Le chef d’orchestre Valery Gergiev continue quant à lui de rester silencieux. Un mutisme qui entraîne de nombreuses conséquences sur sa carrière internationale. Son agent allemand Marcus Felsner lui a fait savoir qu’il cessait de le représenter et justifie ainsi son choix : « Il est devenu impossible pour nous, et clairement malvenu, de défendre les intérêts du maestro Gergiev, l’un des plus grands chefs d’orchestre de tous les temps, un artiste visionnaire aimé et admiré par beaucoup d’entre nous, qui ne veut pas, ou ne peut pas, mettre fin publiquement à son soutien longtemps exprimé à un régime qui en est venu à commettre de tels crimes. »
La Scala de Milan vient également de mettre fin à ses engagements, tout comme la Philharmonie de Paris et le Festival de Verbier.
Même traitement pour le chef d’orchestre Mikhaïl Pletnev, qui devait se produire à Zurich aux côtés du pianiste Lucas Debargue à la fin du mois de mars.
Comment va évoluer la situation pour Tugan Sokhiev, directeur musical de l’orchestre du capitole de Toulouse – dont le contrat prendra fin cet été – et de l’orchestre du Bolchoï ?
Le directeur du Bolchoï lance un appel à la paix
Sur le territoire russe, les citoyens font preuve d’un engagement inédit. Malgré l’oppression et les milliers d’arrestations de manifestants anti-guerre, de nombreux Russes n’hésitent pas à faire part de leur désaccord avec la politique de Vladimir Poutine. Y compris au sein des institutions culturelles.
Elena Kovalskaya, la directrice du théâtre d’État et du Centre culturel Vsevolod Meyerhold de Moscou, a démissionné de ses fonctions car elle « ne peut travailler pour un meurtrier et percevoir un salaire de lui » a t-elle affirmé.
Sans atteindre l’ampleur de la pétition lancée par le militant des droits de l’homme né en 1941 Lev Ponomarev, rassemblant plus d’un million de signataires, (notamment la fille de Boris Eltsine, ou encore celle de Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin ), l’appel de Vladimir Ourine, directeur général du prestigieux Théâtre du Bolchoï à Moscou – pourtant réputé proche de Poutine – a lancé un appel à cesser « l’opération spéciale en Ukraine ». On notera la formulation diplomate mais l’audace de la démarche. Une pétition signée notamment par le violoniste Vladimir Spivakov, directeur artistique du festival de Colmar. La tenue de la manifestation alsacienne, qui arbore chaque année une affiche presque exclusivement russe, reste encore hypothétique. Verdict le 23 mars.